HWANG Sok Yong, un écrivain engagédans la lutte...
Il a vécu la révolte de Gwangju, connu la prison et l'exil, et c'est une superbe plume...
HWANG Sok Soo
En traînant chez mon libraire, pendant qu'il s'occupait de son client, je suis tombée sur "Princesse Bari" de HWANG Sok Yong.
La 4ème de couv m'a appâtée par la phrase "puisé aux sources du chamanisme coréen" et ça m'attire toujours beaucoup, ces histoires de sorcelleries et de chamanisme.
Je l'ai lu et beaucoup aimé.
Ce livre est peut-être écrit comme un roman, mais à la lecture c'est un document sur ce qui attend les millions de personnes que la vie, la politique, la famine, ou tout ça réuni poussent à quitter leur pays natal pour essayer de survivre ailleurs.
Bari est née en Corée du Nord, et elle a vécu la terrible famine qui a ravagé son pays il y a quelques décennies. Sa famille a été éclatée, d'abord par la politique aberrante du Grand Leader qui décide que le père doit aller répondre de Dieu sait quoi devant un tribunal, puis envoie la mère et deux sœurs dans des ateliers nationaux en punition de la "trahison" du père, Bari restant seule avec sa grand-mère et son chien.
Le froid, la famine, et des conditions de vie incroyables la poussent à franchir le fleuve-frontière et passer en Chine, et après d'autres douloureuses péripéties et une traversée cauchemardesque, elle finit par arriver en Angleterre...
Le livre, écrit à la première personne, raconte tout cela d'une façon calme, comme détachée, qui, je crois, ne peut qu'être la seule façon permettant au lecteur d'affronter tout ce que Bari subit de sa naissance à 25 ans.
Le livre se termine là, alors qu'il semble que le torrent tumultueux de sa vie entre dans un bassin calme, mais c'est l'attentat de Londres, donc en fait tout continue...
Bari est chamane, comme sa grand-mère, elle a un don de double vue, mais ses visions ne sont jamais des images nettes d'un avenir ou d'un passé, mais en tant que chamane, c'est comme si elle quittait son corps et voyageait dans des limbes où se croisent fantômes et esprits, tous emmêlés, les bons comme les gentils, ne posant qu'une seule question : pourquoi devons-nous subir toute cette douleur ? Là aussi, les visions de Bari, elle les raconte comme si c'était banal et elle n'en tire jamais profit...
Ce livre ne laisse pas indemne, car on ne peut pas se cacher derrière la phrase habituelle : "ce n'est qu'un roman" car même si ce n'est pas l'autobiographie de l'auteure (ce que vraiment je n'espère pas pour elle !) c'est d'une telle véracité qu'il est impossible de ne pas se dire que chaque jour des millions de gens vivent ça.
Là dessus, étonnée qu'il n'y ait aucun renseignements sur l'auteur, je cherche sur Google, et là, quelle est ma surprise ! J’ai découvert qui était HWANG Sok Yong
(Wikipedia)
Hwang Sok-yong est un écrivain sud-coréen né le 4 janvier 1943 en Mandchourie (alors occupée par le Japon).
Dès 20 ans il fera un séjour en prison pour raisons politiques, il y rencontre des activistes ce qui va orienter sa vie vers un travail en usine, dans la lignée de la relation étudiants/ouvriers.
De 1966 - 1969, engagé dans l’armée coréenne, il sera forcé à se battre au Vietnam auprès des Américains, notamment responsable du "nettoyage", de l'effacement des preuves de massacres de civils. Une terrible expérience au cours de laquelle il est constamment entouré de cadavres en décomposition et le témoin direct des pires massacres. Sur la base de ces expériences, il compose la nouvelle La Pagode (Tap) en 1970, ce qui lui permet de remporter le prix littéraire du journal Chosun Ilbo et l'entraîne dans une riche carrière littéraire.
« Quelle différence peut-il bien y avoir entre la génération de mon père enrôlée au sein de l’armée japonaise pour servir les ambitions impériales japonaises, et ma génération, mêlée à la guerre du Viêt Nam aux côtés des Américains pour établir « un axe américain » en Extrême-Orient pendant laGuerre froide1 ? »
Plus tard il publiera « l’ombre des armes », en 1985, roman sur cette horrible expérience.
Ses œuvres vont aussi évoquer les familles séparées par la guerre de Corée…
...ou dénoncer la dictature qui régit la Corée du Sud à cette époque, écrit du théâtre mais des membres de sa troupe se font assassiner.
À cette époque, il est à la fois un auteur extrêmement respecté parmi les opposants à la dictature et un agitateur politique prenant part lui-même aux différentes manifestations organisées à travers le pays.
« J’ai combattu la dictature Park Chung-hee. J’ai travaillé dans les usines et les fermes de Cholla, et j’ai pris part aux principaux mouvements du peuple à travers le pays [...] En 1980, j’ai pris part au soulèvement démocratique à Kwangju. J’ai participé à l’amélioration de l’écriture, du jeu de scène, j’ai écrit des pamphlets et des chansons, coordonné un groupe d’écrivains contre la dictature et fondé une radio clandestine appelée « La voix de Kwangju libre »
Il prend part au soulèvement de Gwangju, en 1980, évènement qui demeure encore très vivant aujourd’hui dans la mémoire coréenne, des centaines d’étudiant(e)s, femmes, hommes manifestant sans armes ayant été mitraillés par l’armée.
En 1989 il se rend illégalement en Corée du Nord en passant par Tokyo et Pékin pour rencontrer les intellectuels et créer une revue « Littérature de la Réunification ».
Considéré comme un espion par les Services Secrets du Sud, il s’exile à New York, puis en Allemagne, mais quand il revient à Séoul en 1993 il est aussitôt condamné à 7 ans de prison pour « atteinte à la sécurité de l’Etat », la loi de sécurité nationale (toujours en vigueur) interdit tout contact avec le Nord.
Pendant son séjour en prison, il entame huit grèves de la faim pour protester contre différentes restrictions, comme l'interdiction d'avoir de quoi écrire et une alimentation pauvre.
Différentes organisations à travers le monde, comme PEN International et Amnesty International, ont réclamé la libération de l'écrivain. Ce dernier est finalement libéré en 1998 lorsqu'il obtient la grâce du nouveau président élu Kim Dae Jung.
Une vie pareille, plus la lecture du très beau "princesse Bari" m'a donné envie d'en lire plus.
J’ai continué ma découverte par un cadeau d’une amie :
Au soleil couchant
4ème de couv' :
Citation :
Né dans une famille pauvre de Séoul, Park Minwoo a étudié aux Etats-Unis, fait un mariage bourgeois et est devenu directeur d'une grande agence, il est fier d'avoir contribué à l'urbanisation de son pays. La lettre d'une amie d'enfance le replonge dans le passé et l'amène à s'interroger sur son métier et ses pratiques. Prix Emile Guimet de littérature asiatique 2018.
Ce que j'en ai pensé :
Ce roman commence comme un récit linéaire de souvenirs d'enfance du personnage principal, Min Woo, architecte proche de la retraite, puis sans prévenir on débarque dans le même récit de souvenirs mais d'une femme, actrice et metteuse en scène, qui parle aussi de son très cher ami Min Woo. Les deux récits s'entrecroisent, mais peu à peu on se posent des questions sur des différences d'âge, des incohérences apparentes qui vont finir par se résoudre par une découverte surprenante et la preuve que les liens qui se tissent au hasard de la vie sont aussi improbables qu'indispensables. Il faut donc aller jusqu'au bout de l'histoire, jusqu'au moment où le kaléidoscope met enfin en place la bonne image.
J'ai beaucoup aimé la petite musique de ce roman en demi-teinte, au ton doux-amer allant vers une mélancolie apaisée. Intéressant aussi d'avoir un aperçu de la vie coréenne !
Suite de ma découverte de HWANG Sok Soo :
Dans le cadre d’un challenge de lecture, je me suis attaquée ensuite au gros roman en partie autobiographique :
« Le vieux jardin »
Heureusement que je m'étais intéressée à la vie de HWANG Sok Yong pour pouvoir apprécier son roman.
Je n’avais pas vraiment idée de ce que ce serait, le titre n’évoquant pas du tout le côté politique du roman. En fait « le vieux jardin » est le pays, idéal, égalitaire et social, rêvé par les activistes et manifestants qui n’ont pas cessé de lutter contre la dictature para-militaire des années 80, depuis Gwangju jusqu’au premier président civil en 93. Ces évènements constituent essentiellement le climat du roman, racontés à deux voix par O Hyuno et Yuni.
Le livre commence par la sortie de prison de O Hyuno qui vient d’être enfermé à l’isolement pendant 18 ans, par ses premiers contacts avec le nouveau pays qu’il retrouve difficilement… La femme qu’il a aimée et qu’il espérait retrouver est morte quelques années auparavant et dans leur ancienne maison il découvre tout ce qu’elle a écrit pour lui au long des années, car ils n’avaient pas le droit de correspondre.
Vont s’entrecroiser à la fois les passages dans le présent, le récit de Hyuni et celui de O Hyuno racontant sa vie carcérale. Cette partie est tout à fait intéressante par la description que fait l’auteur de la façon dont Hyuno réussit à vaincre l’isolement, le froid, et continue à agir sur les conditions de vie par des grèves de la faim. Le récit de Yuni est situé dans la vie extérieure et se partage entre sa propre vie et l’atmosphère de revendications politiques dans laquelle elle se trouve entraînée sans trop le vouloir, mais peut-être parce que faisait partie de son amour. Comme elle s’expatrie en Allemagne, elle va assister à la chute du mur de Berlin moment saisissant d’une page de l’Histoire, vue par le regard de quelques personnes dans le cadre de son implication dans leurs vies.
Alors j’ai beaucoup aimé ce livre parce que je me passionne pour l’histoire de la Corée (du Sud ici mais aussi de Joseon), particulièrement la période moderne depuis la partition. Mais je reconnais que ce n’est pas un roman au sens captivant du terme, il n’y a pas d’intrigue à proprement parler, et la grande part autobiographique, si elle lui donne un réel intérêt intellectuel et documentaire, n’en rend pas la lecture forcément rigolote ! Je ne veux pas du tout dire que c’est ennuyeux, je n’ai sauté aucune page, même pas une ligne, mais c’est une lecture constructive et « sérieuse » ! A vous de voir si vous vous sentez de découvrir un peu plus ce pays passionnant si vivant, si résistant, si vieux et pourtant si moderne !
Là dessus, bien évidemment, apprenant qu’il y avait eu un film(réalisé par IM Sang Soo) tiré du roman, je n’ai pas pu résister à l’envie de le voir !
Bon, je dis tout de suite que j'ai beaucoup aimé le film, mais je reconnais que ma lecture du roman en premier a certainement aidé ! D'ailleurs je trouve l'adaptation(due aussi par IM Sang Soo) très bien faite, car le livre est long et il fallait y tailler sous peine de faire un film de 4 heures !
YUM Jung Ah (vue dans le drama Snow drop)
JI Jin Hee (vu dans les dramas Move to heaven, Designated survivor:60 days..
IM Sang Soo
Le réalisateur s'est centré sur le personnage de la femme, celle qui accueille et protège l'activiste en cavale, l'aime (en est aimée) puis l'attend, l'attend... O Hyun Oh , et son histoire, m'ont fait l'effet d'être plutôt le support de celle de Hyeon Jee. D'ailleurs toute la partie de la vie carcérale de Hyun Oh est pratiquement supprimée, simplement évoquée.
A travers eux on découvre les terribles années 80 qu'a vécues la Corée du Sud, sous le joug d'une junte militaire, ou d'un gouvernement dictatorial et corrompu. C'est une des raisons qui m'ont poussée à lire le livre et à voir le film, je suis très intéressée par cette période de l'histoire de la Corée du Sud, et les scènes de révoltes, remarquablement filmées sont assez terrifiantes, heureusement pas longues ni nombreuses.
Toute la beauté du film, c'est d'abord l'art du cadrage, de l'image et du montage, la façon très adroite dont le réalisateur a su rendre la narration éclatée dans le temps et entre les narrateurs du roman.
Les acteurs sont excellents, très justes, sensibles, émouvants mais pas un grain de mélo ou de pathos. La scène de la séparation, sous une pluie torrentielle, est magnifique de sobriété et de force. Tout le film baigne dans une subtile mélancolie, entre l'attente de l'une et la culpabilité de l'autre, celle du survivant.
La musique est très belle, sobre, mélodieuse et mélancolique, parfaitement assortie au climat du film.
Le film dure 2 heures, je ne m'y suis pas du tout ennuyée, mais nul doute que si je l'avais vu à 18 ans sans culture "cinéma asiatique" je n'aurais sans doute pas dit la même chose ! Mais j’ai tout à fait confiance en l’intelligence des jeunes de 18 ans d’aujourd’hui !
J'espère que celles et ceux qui passeront par ici auront envie de découvrir cet auteur sud-coréen remarquable par son écriture et l'engagement de sa vie.