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Akira MIZUBAYASHI, le Japonais tombé amoureux de la langue française, comme un artisan de son plus bel outil.

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Surprenant cas d'un étranger qui a décidé d'avoir le français comme langue essentielle d'expression.

Un jour je suis tombée sur un entretien à Fce Inter où quelqu’un, un français ai-je supposé, parlait du Japon. J’ai tendu l’oreille, pour découvrir avec un grand étonnement que ce monsieur était japonais vivant au Japon, mais qu’il parlait un français si parfait sans l’ombre d’un accent qu’on pouvait s'y méprendre.

Il avait choisi d’apprendre le français, ou plutôt comme il le dit lui-même d’ « habiter le français et d’en être habité ».

C’était Akira MIZUBAYASHI.

MIZUBAYSHI, Akira, écrivain, japonais, francophone

 

Il est né le 5 août 1951 à Sakata, au Japon. Après avoir commencé ses études à Tokyo il est parti en 1973 à Montpellier pour acquérir la formation de professeur de français à l’étranger.

MIZUBAYSHI, Akira, écrivain, japonais, francophone


Il a passé ensuite 3 années à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm à Paris.

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Il enseigne aujourd’hui à l’université Sophia de Tokyo.

MIZUBAYSHI, Akira, écrivain, japonais, francophone


Il a écrit plusieurs essais, dont le premier, « Une langue venue d’ailleurs », raconte et même dissèque le pourquoi et le comment de ce choix quand même étrange, car le français n’est pas pour lui une simple seconde langue, mais une langue où il s’épanouit à l’égal de la sienne, et même plus par certains aspects.

Il a écrit aussi deux romans, « Un amour de Mille-Ans » et « Âme brisée ».

C’est encore une fois une présentation de ce second roman par une animatrice de Fce Inter qui m’a rappelé cet écrivain, et aussi que je voulais m’y intéresser. J’ai donc acquis « Âme brisée » et « Une langue venue d’ailleurs ».

MIZUBAYSHI, Akira, écrivain, japonais, francophone


Commençons par le roman "Âme brisée".

Cette âme sera à la fois celle d'un enfant témoins d'un acte de violence qui lui arrache son père, e et celle du violon de celui-ci, détruit brutalement par l'image même de la bêtise humaine : un soldat inculte et endoctriné.
L'enfant, Rei, va consacrer sa vie à reconstruire le violon de son père, en devenant luthier, par un travail acharné quasi impossible, demandant des années, constamment soutenu par l'amour de la musique que son père lui a laissé en héritage, et par là-même il reconstruira aussi son âme.

Comme dit plus haut, le roman est écrit en français, donc on ne peut pas parler du problème de traduction, et pourtant, tout au long de ma lecture je ne pouvais oublier que l'auteur est bien japonais, tant le style extrêmement simple, la distanciation, la pudeur profonde des sentiments à peine suggérés, le minimalisme des détails de la vie que nous raconte cet homme, ou qui nous est racontée, les ellipses de temps à peine évoquées sont fondamentalement dans l'esprit de ce que j'ai lu de japonais.

De courts passages à la première personne évoquent avec force le drame, mais le reste de l'histoire de Rei est racontée par un narrateur... Ce n'est pas un hasard si Rei est adopté par un Français et s'il est élevé dans ce pays, on sait l'amour inconditionnel de l'auteur pour le français... Cela donne une sensation d'étrangeté, créée par le contraste entre le style et l'esprit du roman et le fait que le héros ait été renommé Jacques et ait vécu toute sa vie en France, ou en Italie. Cependant au fur et à mesure de la reconstruction du violon, et des années qui passent, des rencontres faites (une jeune violoniste japonaise) Jacques va revenir vers ses origines, et grâce au violon et à la musique, se retrouver entier, dans toute la richesse de sa culture multiple. Les passages où il revient vers le Japon sont particulièrement émouvants, et la fin est belle et donne l'image d'un cœur enfin apaisé.

Et ce retour à la réappropriation de ses origines par Rei/Jacques me fait parler maintenant de l'essai "une langue venue d'ailleurs", qui justement décrit minutieusement comment l'auteur est tombé passionnément amoureux de la langue française.

MIZUBAYSHI, Akira, écrivain, japonais, francophone


C'est parce que sa propre langue, et l'environnement de langage universitaire encore sous les influences de 1968 qui étaient le sien au Japon, ne le satisfaisaient pas et lui semblaient faits de mots vides que Akira Mizubayashi a cherché une autre langue lui permettant d'exprimer au plus juste ce qu'il avait à dire.

Et le fait est que son maniement de la langue, la précision de son expression, la richesse de son vocabulaire sont confondantes.
J'avoue que durant toute ma lecture (facile, agréable et très intéressante, malgré de nombreuses références à un monde universitaire qui m'est étranger) je me suis demandé s'il était bien question de ma propre langue !
Akira Mizubayashi est entré dans le français par la porte de la haute intellectualité, par la philosophie et son français n'est pas celui de tout le monde. Il le dit lui-même :
"On me fait remarquer que les outils d'expressions du français non conventionnel ont une place fort réduite chez moi" ce que moi je traduirais par : le français ordinaire, l'argot, le parler des gens n'est pas le mien. Et il explique pourquoi :
 
Citation :
"Ce n'est pas cette langue-là qui m'a élevé, qui m'a nourri...C'est une grande  maison que je contemple de l'extérieur...je ne m'y sentirais pas à ma place... C'est une langue d'autrui, de l'autre, qui n'est pas à ma portée, qui me restera toujours étrangère."

En lisant ça je me suis sentie moi-même mise à la porte de ce français-là !

Et même s'il parle le français sans accent, même s'il le possède mieux que la plupart d'entre nous, ce recul devant le français de tout le monde est la limite de son appropriation de notre langue, limite choisie et voulue, qui là encore marque très fortement sa nature japonaise.

Un français vivant au Japon, parlant et lisant le japonais ne sera jamais considéré comme Japonais, et Akira Mizubayashi a recréé pour lui-même ce particularisme d'exclusion de sa culture d'origine. La langue française est l'outil qu'il a choisi, et qu'il chérit comme le merveilleux outil d'expression qu'elle est, mais son amour s'arrête à la langue française, je n'ai pas senti ce qu'il éprouvait pour le pays de cette langue et pour l'ensemble de sa population, ou même s'il éprouvait quelque chose, sauf pour sa femme française dont on peut supposer qu'il l'aime !  
Pour moi c'est un homme qui vit dans l'univers qu'il s'est créé, univers intellectuel, brillant, mais j'y suis totalement étrangère, comme il l'est du mien, si ordinaire, si quelconque !
C'est un phénomène fascinant, mais qui n'a pas éveillé d'empathie chez moi !


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