KORE-EDA Hirokazu, pour "sentir" le Japon...
Quand j’ai commencé à m’intéresser au Japon, une amie m’a conseillé de voir le film « Still walking » d’un réalisateur que je ne connaissais pas, KORE-EDA Hirokazu, comme un bon aperçu de la vie japonaise « ordinaire ».
Effectivement j’ai eu l’impression d’être un esprit invisible auprès de membres d’une famille, réunis comme tous les ans pour la cérémonie bouddhiste anniversaire de la mort du fils aîné, qui a eu lieu il y a déjà plusieurs années. Il faut dire que Kore-eda a fait pas mal de documentaires, je pense qu’on retrouve cette esprit dans sa réalisation claire et précise. Au fil des films et du temps j’ai bien compris aussi que certes, c’est le Japon qu’on découvre avec Kore-eda, mais aussi l’âme humaine universelle.
Mon impression première la plus forte a été une admiration sans borne pour la façon dont Kore-eda filme les enfants ! On ne sent jamais la présence de la caméra, aucun cabotinage chez les jeunes acteurs (souvent les enfants tombent dans ce piège) mais un naturel incroyable. Quand j'ai découvert Ozu, j'ai vraiment senti une filiation ! Je me souviens d’une scène où les enfants sous un arbre essaient d’attraper les branches fleuries, trop hautes, et par la façon dont le réalisateur capte la lumière à travers les branches, les jeux des enfants, leurs rires, leurs paroles, il se dégage de la scène une paix joyeuse, qui vient contrebalancer les aspects sombres des non-dits familiaux, ouvrant sur l’idée que la continuité est là, quoiqu’il se passe, la vie continuera.
Et la mère ! Interprétée par la géniale Kirin Kiki que je découvrais aussi ce jour-là, elle semble une grand-mère gâteau, qui ne pense qu’à cuisiner pour toute la famille, à nourrir tout le monde (en passant, la cuisine a toujours une grande place dans le cinéma japonais ! ) mais qui va révéler une noirceur, une haine tenace qui transparaît à peine mais jette un souffle glacé dans cette atmosphère familiale chaleureuse. Kore-eda disait, à la sortie du film, qu’il avait fait ce film en mémoire de sa mère, qui venait de mourir, et qu’il ne voyait que Kirin Kiki pour assumer ce rôle.
Du coup, forcément, je me suis dit que je devais d’urgence découvrir les autres films de Kore-eda, et comme il en fait un par an, il ne fallait pas mollir pour rattraper le retard !
Le film suivant a été « Nobody knows », inspiré d’un évènement réel arrivé à Tokyo il y a quelques années : une femme, mère de 5 enfants tous de pères différents, a décidé un jour que pour en suivre un sixième les enfants la gênaient, et elle est partie, comme ça, laissant les mômes dans l’appartement sous la garde l’aîné qui avait 12 ans.
Dans le film il n’y a que 4 enfants, mais ça ne change pas grand-chose au problème ! Le fils aîné, dans le souci de ne pas se trouver séparés en famille d’accueil, comme c'est déjà arrivé, décide que personne ne doit savoir (d’où le titre) et pendant presque un an les enfants vont survivre en cachant qu’il n’y a plus d’adulte avec eux.
Ce film est dur, car là aussi le côté documentariste de Kore-eda se fait sentir : l’écriture est froide, le réalisateur ne cherche pas l’émotion facile, pas de pathos ici, mais croyez-moi,ça ne vous en brise que mieux le cœur ! Le film fit grande impression à Cannes (Kore-eda y est quasiment tous les ans ! ) et à 14 ans, Yûya Yagira fut le plus jeune comédien à avoir remporté le prix d'interprétation masculine.
La vraie mère est revenue au bout de 10 mois, elle a été jugée mais n’a fait qu’un an de prison ! Je ne sais pas ce que j’aurais eu envie de lui faire ! Il semble que l’abandon d’enfants ne soit pas une rareté au Japon (lire à cette occasion « les bébés de la consigne automatique » de MURAKAMI Ryo, lui aussi fondé sur des faits réels.)
Ensuite j’ai vu « I wish », et là j’ai vraiment compris que l’enfance était quand même le fil rouge de l’œuvre de Kore-eda.
« Sur l'ïle de Kyushu, deux frères sont séparés après le divorce de leurs parents. L’aîné, Koichi, âgé de 12 ans, part vivre avec sa mère chez ses grands-parents au sud de l'île, tout près de l'inquiétant volcan Sakurajima. Son petit frère, Ryunosuke, est resté avec son père, guitariste rock, au nord de l'île et jouit d'une vie décontractée. En dépit de leurs vies différentes, les deux frères, se parlent souvent sur leurs téléphones portables. Koichi souhaite par-dessus tout que sa famille soit à nouveau réunie - même si cela doit passer par l'éruption dévastatrice du volcan ! Lorsqu'un TGV relie enfin les deux régions, Koichi et son jeune frère organisent clandestinement un voyage avec quelques amis jusqu'au point de croisement des trains, où un miracle pourrait se produire. Ne dit-on pas que l'énergie générée par le croisement de deux trains peut faire qu'un désir se réalise ? »
Notons au passage la présence de Odagiri Jo au générique dans le rôle du père rockeur, ce qui lui convient très bien !
A travers ce film j’ai commencé à m’interroger sur un problème croisé souvent dans les dramas : le divorce et les enfants. Lors de la séparation, les enfants sont soit séparés (partagés) soit l’un des deux parents les prend et l’autre parent pourrait alors disparaître totalement de leur vie. Souvent ils restent avec la mère, et si celle-ci le veut bien ils reverront une fois ou l’autre le père, mais si elle se remarie, le beau-père prend la place. Nombre de pères japonais sont au désespoir de ne pouvoir revoir leurs enfants, il y a d’ailleurs pas mal de suicides pour cette raison.
J’ai ensuite recherché des films des débuts de Kore-eda, j’ai donc acquis « Maborosi », « son premier long-métrage de fiction, au travers de l'histoire de Yumiko hantée par la disparition de sa grand-mère, qu'elle n'a pas su retenir, et le suicide de son premier mari, est centré sur la question de l'absence, de la perte, de savoir qu'est-ce qui reste de sa vie.
Maborosi, reçoit le prix Osella d'or au festival de Venise pour sa photographie. Ce film m’a intriguée, mais pas forcément convaincue, un peu obscur pour moi. Je n’avais peut-être pas assez de codes pour le déchiffrer, mais la beauté des images m’a frappée.
Un autre film qui m’a impressionnée, c’est « After life »qui est « une réflexion sur le passé et la mort, à mi-chemin du reportage et de l'essai poétique. » Je suis d’accord pour l’essai poétique, moins sur le côté documentaire de ce récit où des personnes venant de mourir se retrouvent pendant 8 jours dans un lieu étrange pour réaliser le film de leur souvenir le plus fort.
Ce film est différent, ce n'est que le deuxième long-métrage du cinéaste, on n'y voit pas encore le sujet essentiel de Kore-eda, la famille et particulièrement les enfants. J’ai retrouvé là l’idée que l’âme ne quitte pas la terre tout de suite, ce laps de temps a souvent inspiré les auteurs, de même que la notion de fantôme qui est vraiment au cœur de la relation japonaise à la mort.
Quand je repense à ce film, bizarrement dans mon souvenir je le vois en noir et blanc !
Une autre de ses réalisations sort ainsi du terrain habituel de son travail : Hana hyori mo naho, plus connu comme « Hana ». C’est la seule incursion jusqu’à aujourd’hui de Kore-eda dans le domaine du film historique, le film se passant sous l’ère Edo.
Un jeune samouraï est à la recherche de l’homme qui a provoqué la mort de son père pour le tuer. En fait ce jeune homme se trouve amené à partager la vie de ceux qui vivent dans ce qui serait aujourd’hui un bidonville, et par là Kore-eda nous offre une galerie de personnages assez truculents et plus ou moins honnêtes, qui trouveront une façon très originale de permettre au jeune homme d’accomplir sa mission sans verser le sang, ce qui n’était pas vraiment dans sa nature, vu qu’il avait ouvert une école pour les enfants du bidonville !
Pour ma part j’aime énormément ce film, et l’interprétation excellente des acteurs, particulièrement Okada Jun’ichi, Arata Furuta et Asano Tadanobu. Kore-eda y fait une critique sans amertume mais réelle du monde des samouraïs et du mythe de l’honneur qui a si bien servi à maîtriser la population japonaise au moment de la seconde guerre mondiale.
Retour dans la famille avec « Tel père, tel fils »qui « interroge la relation filiale au travers du drame d'enfants échangés à la naissance entre deux familles »
L’hypothèse de départ n’est pas vraiment importante, elle est réglée rapidement, l’intérêt se trouve dans la comparaison deux familles : l’une est riche, l’autre pauvre, sans être dans la misère. Ce film donne un aperçu sur l’éducation qui est donnée aux enfants au Japon, le poids que la compétition permanente fait peser sur eux, les attentes incroyables des parents, qui placent leur honneur dans la réussite de l’enfant, avec le corollaire inévitable du poids de la déception quand l’enfant n’est pas jugé à la hauteur.
C’est le cas de la famille "riche", qui n’a qu’un seul enfant, alors que les "pauvres" en ont plusieurs (2 ou 3, je ne sais plus) et c’est déjà une autre façon de concevoir la vie ! Il y a là toute une réflexion sur la filiation (le même sang entraine-t-il forcément les mêmes aspirations ? ) Le fils biologique qui a été dans un milieu plus chaleureux et moins exigeant ne se pliera pas forcément aux attentes de ce nouveau père, qui va être amené à s’interroger sur lui-même, ses choix et ses valeurs. Film très fort, parfaitement soutenu par l’interprétation des deux pères, Lili Franky pour le « pauvre » et Masaharu Fukuyama pour le « riche ».
Ce film donne à voir l'importance de l’éducation au Japon, où les enfants doivent passer un test pour entrer en maternelle,(privée) et où ils sont pratiquement forcés d’ajouter des cours particuliers en plus des heures scolaires. L'obtention d'un diplôme d’une grande université est la condition de base pour trouver du travail. De plus cela conditionne fortement le statut social et les préjugés de classe, et le regard que la société a sur l'individu. Suivant l’université d’où vous venez, il ne sera pas le même, ce statut prédominant fortement sur la valeur réelle de la personne.
La famille toujours avec « notre petite sœur » et là ce ne sont plus des frères, mais 3 sœurs, « Sachi, Yoshino et Chika, qui vivent ensemble à Kamakura.
Par devoir, elles se rendent à l’enterrement de leur père, qui les avait abandonnées une quinzaine d’années auparavant. Elles font alors la connaissance de leur demi-sœur, Suzu, âgée de 14 ans. D’un commun accord, les jeunes femmes décident d’accueillir l’orpheline dans la grande maison familiale… »
Télérama : Deuil, parents défaillants, fratrie complice ou conflictuelle : le réalisateur japonais reste fidèle à ses thèmes et à sa mise en scène caressante, tout en délicatesse. Comme la chronique de cette communauté de filles est attendrissante à souhait, les images de la nature, idylliques, et les quatre actrices, adorables, le film est en tous points charmant. Mais, pour la première fois dans l’œuvre de Kore-eda, il n’est que ça. Dans Nobody knows et Still walking, ses chefs-d’œuvre, l’angoisse, la noirceur, voire la cruauté, venaient briser la sérénité des apparences. Ici, la tendresse qui règne sans partage vire à la mièvrerie.
Je copie cette critique de Télérama parce que c’est exactement ce que j’ai ressenti, bien qu’ayant adoré revoir Kamakura remarquablement bien filmée ! J’ai retrouvé là un aspect de la famille japonaise que j’avais croisé dans de nombreux dramas, romans ou films : les familles parallèles, les enfants illégitimes semblant ne pas être une rareté.
J’ai retrouvé mon Kore-eda dans « Après la tempête », avec mes chers Abe Hiroshi et Kirin Kiki.
Nous voilà encore avec une famille brisée, l’épouse, qui a voulu divorcer, le mari, que son penchant pour le jeu pousse sans cesse à sortir des rails et l’adolescent leur fils. S’y ajoute la mère du mari, sorte de trait d’union entre les trois autres. Ils vont se retrouver coincés chez la grand-mère à cause du passage d’un typhon, qu’on ne verra pas d’ailleurs, Kore-eda ne fait pas dans les effets spéciaux !
La mère a quelqu’un d ‘autre, elle veut se remarier et à ce moment-là sortira complètement avec son fils de la vie de son ex mari. Mais celui-ci aime son fils, tout immature et peu fiable qu’il soit, et fait tout son possible obtenir la promesse d'avoir des visites régulières.
Le problème évoqué plus haut des enfants dans le divorce est ici encore plus évident, mais Kore-eda ne fait jamais du cinéma engagé, il ne défend pas de cause mais nous met seulement en présence des situations et des personnages qui s’y débattent.
De plus, le personnage central évoque fortement le père de Kore-eda, joueur invétéré, qui a rendu difficile l'enfancedu cinéaste !
Mon dernier film vu, c’est « the third murder » avec un acteur que j’aime énormément, extrêmement connu au Japon, qui a joué avec tous les grands réalisateurs (c’est lui dans l’anguille de Shohei Imamura, quand on l’a vu on ne l’oublie plus jamais ! ) c’est Kôji Yakusho, et avec à nouveau Masaharu Fukuyama, excellent aussi !
Ici la famille n’est pas le sujet central du film, bien qu’elle y soit par incidence avec la présence d’une adolescente, mais il consiste entre un tête à tête de plus en plus puissant entre un meurtrier et son avocat.
A toutes les questions que pose l’avocat le meurtrier ne répond qu’en suggérant d’autres questions, et nous n’aurons pas la solution finale ! La maîtrise de Kore-eda éclate dans les scènes de face à face de chaque côté de la vitre du parloir par un jeu de reflets tout à fait magnifique.
Kore-eda a reçu la palme d’or à Cannes en 2018 pour le film qui doit sortir bientôt : « Une affaire de famille » et oui, la revoilà !!
C’est à travers une famille de petits voleurs que Kore-eda va nous monter encore une fois sa fascination pour les liens familiaux, et je pense qu’il y aura peut-être une réflexion sur l’honnêteté, qui sait ? Je reviendrai quand je l’aurai vu ! Il y a Kirin Kiki, dont c’est l’avant dernier film avant qu’elle ne nous quitte en septembre dernier, et Lili Franky entre autres et bien sûr, des enfants ! J’ai trop hâte qu’il arrive à ma portée !
Plus tard : Je reviens d'aller voir "une affaire de famille", et je suis totalement enchantée, charmé, bouleversée par ce film ! Kore-eda est au sommet de son talent ! Quelle maîtrise dans la réalisation quelle intelligente direction d'acteurs, quel scénario sans défaut !! Touchant, drôle, déchirant, bouleversant.... Des acteurs parfaits (je découvre Ando Sakura, et je retrouve avec plaisir Lily Franky, sans parler des enfants, et bien sûr, si émouvant de voir encoure une fois Kirin Kiki... ) j'en suis ressortie le cœur chaviré... Et je l'ai précommandé, je veux le revoir, et le revoir encore !
Hirokazu Kore-eda a commencé comme documentariste, mais je n’ai malheureusement vu aucun de ses documentaires ou téléfilms, et j’aimerais beaucoup trouver : Ishibumi. «(Monument de pierre) « C’est le retraitement par Hirokazu Koreeda d'un programme célèbre de télévision de 1969. Haruko Sugimura, célèbre actrice des films de Yasujiro Ozu, Mikio Naruse et d'autres maîtres d'âge de l'or lisait le livre qui recensait les témoignages de 322 élèves et quatre enseignants d'Hiroshima qui se livraient à des travaux de démolition à seulement 500 mètres de l'épicentre de l'explosion et en sont morts sur place ou peu après. »
Kore-eda s’est également essayé au drama, c’est à dire les séries populaires typiques des cultures asiatiques. Il a donc fait un drama de 10 épisodes, avec encore Abe Hiroshi et là encore la famille est au centre de l’histoire, « going my home ».
Lorsque le père de Ryota(Abe Hiroshi), Eisuke , tombe malade en allant dans sa ville natale de la préfecture de Nagano, son fils lui rend visite à l'hôpital. ) Il rencontre une fille «mystérieuse», Naho (Miyazaki) Est-ce sa sœur ? . Ce faisant, il découvre le kuna, petit peuple mythique de la forêt, propre à la région et qui sert de médium entre le monde des vivants et celui des morts. Ils obsèdent Ryota au point que chaque épisode s'ouvre par un rêve dans lequel il rencontre le petit peuple. Il crée un «événement de recherche» lié aux relations publiques autour de kuna, qui semblent prétexte pour lui permettre de passer plus de temps dans cette petite ville.
Cette plongée dans les souvenirs d’enfance, dans le contact avec la nature vont amener Ryota à une évolution vers une meilleure compréhension de son épouse et sa fille. Au passage la jeune fille semble être bien plus mûre et raisonnable que son père, et Kore-eda joue avec humour de la très grande taille d’Abe Hiroshi en opposition avec son côté assez immature !
Depuis j'ai vu son dernier film, tourné en France avec Deneuve et Binoche : "La vérité".....
...et j'ai été très heureusement surprise ! J'avais peur que Kore-eda, Japonais ne parlant pas du tout le français, fasse un truc sur les relations familiales passe-partout "à la française" mais que nenni !
C'est toujours sa magnifique direction d'acteurs, ses scénarios très bien écrits où se mêlent ici les relations entre une mère "ogresse" et sa fille, et toute une réflexion sur la passion dévorante de l'acteur qui ne vit que pour son art avec les dégâts collatéraux que ça implique.
L'ambigüité des souvenirs vécus ou qu'on a cru vivre, les coups de griffes et les instants d'émotion dont on ne sait jamais s'ils sont totalement sincères ou s'ils ne sont pas joués, gardent une atmosphère incertaine et troublante, empêche tout risque démonstratif et maintien une ambiance oùje retrouve l'esprit japonais du réalisateur.
Il a dû veiller à la prise de son, car, bien que français, j'ai compris tout ce que disaient les acteurs !
Un reproche (léger) un poil trop long... Mais même si ça n'a pas le niveau d'une "affaire de famille" c'est du très bon cinéma quand même ! Et les acteurs/trices sont extraordinaires !!
Quand j'ai vu que le drama sur Netflix "Makanai : dans la cuisine des maïko" était réalisé par mon idole du cinéma japonais Hirokazu KORE-EDA, (adaptation d'un manga)je me suis bien sûr jetée dessus ! De plus une incursion dans le monde fermé des maïko et geïko ne pouvait que m'intéresser ! Je me doutais que Kore-eda allait nous livrer un régal et je ne me suis pas trompée !
Alors commençons par jeter à la poubelle tous les vieux clichés assez frelatés sur les "geisha", mot rarement prononcé, il n'y a pas de fille vendue, pas de prostitution élégante, (même si la frontière autrefois n'était pas très nette ! ) mais il y a deux adolescentes d'aujourd'hui qui ont choisi, (librement et même contre la volonté du père pour l’une)au lieu du lycée, d'intégrer une école de geiko où leur sont enseignés les arts traditionnels comme les maï(danses / postures / mimes), la pratique du shamisen, la conversation, les jeux de société etc. Leur travail sera de tenir compagnie à des hommes (mais pas que ! ) fortunés afin que les clients passent un agréable moment dans un univers artistique.
Nos deux gamines (inséparables depuis l'enfance) viennent d'Aomori, extrême nord d’Onshu, donc de la cambrousse... Les voilà à Kyoto, dans le quartier de Gion, seul endroit du Japon (et du monde) où se perpétue cette tradition. Il va être tout de suite évident que les deux apprenties n'ont pas les mêmes aptitudes à ce métier. Sumire avance vite et montre des dons, mais Kyio n'a aucune facilité, il est question de la renvoyer chez elle, (très gentiment, hein ? Pour son bien !)mais elle a l'occasion pour rendre service, de prendre la place de la makanaï(cuisinière/intendante) de la maison. Il se trouve que là elle est extrêmement douée, et que sa capacité naturelle au bonheur s’y déploie pour la plus grande joie de tous.
Bien sûr il y a quelques scènes d’enseignement de danse, quelques moments culinaires, quelques rappels du règlement (interdiction de portable !) mais brefs, légers, l'essentiel du drama se situe dans les relations entre les apprenties maïko qui s'appellent "sœurs", les « mères"qui gèrent l’école . Kore-eda, qui s'est entouré de jeunes réalisateurs, a choisi à l'évidence la sympathie de la chaleur humaine entre des relations, facilitées par un goût commun pour un métier dont l’originalité nécessite un don de soi, et rapproche forcément celles qui le pratiquent. On voit qu’il y aurait des possibilité de crise, de tensions, mais il a choisi de les suggérer, sans les développer.
Fidèle à lui-même, il nous dépeint là une nouvelle sorte de famille « choisie ».
Sans s’y appesantir, il nous laisse entrevoir les peines et les douleurs d’enfances difficiles, solitaires et là, le personnage le plus marquant est Ryoko, vraie fille de la « mère » de l’école, dont on découvre peu à peu à quel point elle a dû se sentir dépossédée par toutes ces « sœurs » successives. Il nous fait entrevoir des amours impossible, ou dont les braises rougissent encore sous la cendre du passé. La découverte de ce qu’est la formation des maïko ainsi que le travail en cuisine de Kiyo ne sont que la toile de fond discrète mais essentielle à cette histoire de famille. J’avoue que le bonheur de parcourir quelques fois les rues de Gion, et le souvenir de notre soirée avec une geïko en 2015 ont ajouté un plaisir supplémentaire à la vision de ce drama, mais sans en avoir besoin j’aurais apprécié hautement cette œuvre qui, comme je l’ai déjà dit, me rappelle fortement « notre petite sœur », auquel cependant je le préfère, pour ses quelques aspérités qui évite de tomber dans une gentillesse trop lisse !
Au fil des films et du temps j’ai bien compris aussi que certes, c’est le Japon qu’on découvre avec le cinéma sensible et intelligent de Kore-eda, mais aussi l’âme humaine universelle.
J'espère que cette longue note sera lue au moins une fois et qu'elle donnera au moins une fois l’envie à quelqu’un de découvrir ce réalisateur magnifique !