Kurosawa et "le château de l'araignée"
le château de l'Araignée
Inspiré librement de "Macbeth" (mais on retrouve quand même très bien la trame de l'histoire) le film se situe au XVIème siècle en pleine période des guerres civiles japonaises. Traversant une forêt (la forêt de l'araignée) les généraux Washizu et Miki rencontrent un esprit qui leur prédit que Washizu sera le seigneur du château de l'araignée mais que ce sera le fils de Miki qui lui succèdera. Washizu raconte la rencontre à son épouse qui va l'influencer ...
Washizu : Toshiro Mifune (l'acteur fétiche de Kurosawa)
Asaji, son épouse : Isuzu Yamada
Le film est sorti en 1957 au Japon. Ce film devint rapidement une référence pour les adaptations de Shakespeare au cinéma. J'ai eu la chance de trouver la version collector avec des interviews passionnantes qui ont éclairé vraiment le film.
Kurosawa a réussi le tour de force de garder l'atmosphère particulière de la pièce de Shakespeare (ambiance fantômatique, sorcière, thème du sang...) tout en rendant un hommage du théâtre Nô, cher à la culture japonaise, mais de l'aveu même du réalisateur, difficile à comprendre par le reste du monde, et même certains Japonais, ajoute-t-il en souriant. Il dit aussi que mal joué le No est un concours de sieste ...
Kurosawa a voulu bâtir les décors du château sur les pentes du Fuji-san, non pour montrer la montagne mais "parce que c'était la pente qu'il voulait filmer"Heureusement que la base américaine proche a fourni de la main d'œuvre, car il a fallu en plus décharger des tonnes de sable pour surélever l'entrée. Kurosawa voulait aussi ce lieu afin de pouvoir tourner dans le brouillard (abondant et quotidien sur ces pentes ... )
Ceci est la remarque de l'accessoiriste, témoignant des difficultés du tournage ...
L'influence du
théâtre Nô est flagrante dans la séquence de l'esprit de la forêt. Une scène traditionnelle du Nô :
et la scène de l'esprit dans la forêt, avec la même cabane "cage" et le même rouet, l'aspect fantômatique donné par une forte surexposition de l'actrice :
En voyant la cabane je me suis dit : drôle de cabane en bâton ... et ensuite j'ai compris que c'était la reproduction du minimalisme des décors du Nô, que l'on trouve aussi dans l'intérieur du château, les murs de bois brut noircis à la fumée et éclaboussés de sang, et toujours l'image de ces baguettes :
Kurosawa exigeait que les acteurs utilisent les postures traditionnelles du Nô, leur façon de s'asseoir très lentement, (soit à deux genoux, soit un genou levé ):
Il a voulu aussi donner aux visages des acteurs les expressions des masques de Nô, celui de l'action pour Mifune ......
...... servi par la mobilité extraordinaire du visage de l'acteur et un maquillage impressionnant, et pour l'épouse c'était le masque de l'immobilité (elle n'avait pas le droit de cligner des yeux ...)et pour la scène où elle se lave les mains il voulait que l'on pense que ses yeux contenaient de la poudre d'or ( l'actrice ayant même essayé ... !!! )
Le film se termine par une scène extraordinaire, Washizu criblé de flèches par ses propres archers, et le pauvre Mifune a réellement été la cible d'archers qui lui ont tiré dessus, Kurosawa voulait qu'il ait vraiment l'air d'avoir peur ... En fait il y avait un truc entre les tireurs et l'acteur qui par ses gestes indiquait dans quelle direction il allait bouger pour que les tirs soient décalés de l'autre côté ... mais quand même, ça ne devait pas rigoler tous les jours sur les tournage du grand Kurosawa !!! Ceux qui se plaignent de james Cameron aurait dû tourner avec lui !!!
Commentaire d'une amie :
Cependant le film fut assez décrié à sa sortie :
« Au lieu de bruit et de fureur, ce n’est plus que gesticulation et tintamarre (...). Jamais aucun jeu d’acteurs ne m’a paru aussi grossier, artificiel et monotone »
Eric Rohmer
« Entre les mains de Kurosawa scénariste, la superbe pièce de Shakespeare devient une sombre bagarre de brutes, se disputant la conquête d’un château. Aucune sincérité, aucune émotion, aucun sens réel du tragique n’animent ces pantins hurlants. Il ne suffit pas pour restituer le climat de Macbeth de faire tourner trois chevaux dans le brouillard et des samouraïs hystériques, chargés d’armure (...). Il n’y a rien, strictement rien à sauver d’une pareille entreprise. Il faut reconnaitre à Kurosawa le droit de faire du cinéma commercial, et – à nous autres – celui de le dénoncer, et de rejeter une duperie, sous prétexte qu’on nous invoque un alibi culturel ».
Henry Chapier
En effet, Kurosawa ne reprend pas le texte de Shakespeare (probablement par difficulté de traduction) et change le nom des personnages. Imaginez un peu les cris d'orfraie des puristes. N'empêche, Laurence Olivier sera très impressionné par le film. Na !
Mais peu importe. Le Château de l’Araignée témoigne avant tout de l’étendue du bagage classique du cinéaste et de sa parfaite connaissance des différents ressorts de la tragédie : luttes de pouvoirs, trahisons fratricides et assassinats.
En japonisant Macbeth, Kurosawa, prouve que Shakespeare est universel, et recentre le récit sur l'action et les motivations des personnages.
Et c’est alors au niveau de la forme que le film fait la différence.
L'incursion du théâtre Nô est stupéfiante. Utiliser une forme théâtrale typiquement orientale pour adapter une pièce de théâtre typiquement occidentale, c'est assez brillant. Et même sans rien savoir du théâtre nô et de ses conventions, on reste saisie la puissance/la folie que cela donne aux personnages.
Autre aspect impressionnant du film : les décors. La terre noire du mont Fuji, le brouillard qui encercle le château, et au delà une forêt insondable. Ils renforcent l'ambiance oppressante et fantastique du récit.
Et cerise sur le gâteau, les amateurs d'armures de samouraïs apprécieront les costumes. Et pour cause, les guerriers ont été équipés « d’authentiques reproductions » d’armures. Et même si on n'y connait rien (comme moi), c'est effectivement magnifique
Pour moi,
Je pourrais comprendre ces critiques si elles ne venaient pas de personnes comme Rohmer ou Chapier, sensés avoir une vaste culture ! En effet je reconnais très humblement que si j'avais vu ce film il y a quelques années (pas beaucoup !! ) n'ayant jamais rien lu, rien vu de japonais j'aurais pu penser quelque chose comme ça ... Mais ces personnes, cinéphiles avertis, auraient pu voir un peu plus loin que leurs propres habitudes
Comme je l'ai dit je n'ai ni vu ni lu la pièce, donc je ne peux pas vraiment juger de l'adaptation, cependant, si je me fie au texte de Jan Kott, Shakespearien de réputation internationale :
"Macbeth peut devenir roi, donc il doit devenir roi ; il tue tous les témoins, et ceux qui soupçonnent le crime ; il doit tuer les fils et les amis de ceux qu'il a tués précédemment ; après quoi il doit tuer tout le monde car tout le mpnde est contre lui :
Citation: Battez toute la contrée. Pendez ceux qui parlent de peur! ... Donne-moi mon armure !
À la fin lui-même sera tué, il a parcouru tout le grand escalier de l'histoire.
J'ai trouvé exactement cet engrenage implacable de violence dans le film, mais c'est l'épouse, telle une voix intérieure matérialisée(aspect renforcé par son apparence fantômatique)qui le pousse sans cesse en avant.
Toujours Jan Kott :
Citation: L'histoire de Macbeth manque de transaprence. Le mécanisme se met en marche, après, tous y seront écrasés, on patauge dans le cauchemar, on s'y enfonce jusqu'au cou.
.....
L'histoire est gluante et épaisse comme une bouillie de sang"
Et le sang est fort présent dans le film de Kurosawa. Les murs en sont éclaboussés, les mains en sont souillées jusqu'au coude ... Et le noir et blanc, loin de nuire, renforce au contraire ce sentiment : que peuvent être ces souillures, ces traînées, ces éclaboussures sombres sur les murs, se demande le spectateur, sinon du sang ? Et cette question génère bien plus d'angoisse que la vision certaine de la couleur rouge répandue à foison ...
Citation: "Le sang, dans Macbeth, n'est pas seulement une allégorie, il est matériel, physique et coule des corps massacrés ..."
Pourtant on ne voit pas les deux crimes essentiels, la mort du roi et celle de Banquo (Miki dans le film).
Pour le premier meurtre,on voit seulement Washizu revenir du massacre, halluciné et hébété par ce qu'il vient de commettre, effondré au sol, s'agrippant à la lance ensanglantée et c'est son épouse qui va détacher un à un ses doigts crispés de l'arme, couvrant à son tour ses mains de sang...
la fameuse scène où elle tente de laver ses mains dans un bassin vide ...
Citation:(Jan Kott) L'histoire (de Macbeth)est ramenée à sa forme la plus simple, à une seule image, à un seul partage : entre ceux qui tuent et ceux qui sont tués
Macbeth tue pour le pouvoir, mais c'est illusoire, on ne le voit pas exercer ce pouvoir, c'est une abstraction qui ouvre la porte à ce qu'il y a de pire en lui, et j'ai ressenti absolument cela en regardant ce film ... Si la phrase "un récit plein de bruits et de fureur et qui ne signifie rien" n'est pas citée, elle n'en est pas moins le résumé exact de l'atmosphère de ce film, elle y est induite à chaque instant, et l'utilisation des techniques du Nô, si étranges et presque dérangeantes au départ pour nous européens ne fait que la renforcer. je n'arrive vraiment pas à voir là un film "commercial" ou trop "occidentalisé" ...
Alors à moins que Jan Kott n'ait rien compris à l'œuvre de Shakespeare, Je pense que Kurosawa l'a très bien assimilée ...
Bref, en un mot, messieurs Rohmer et Chapier eux, n'ont rien compris au film, désolée pour eux !!!
Une anecdote concernant les armures : les GI américains venus en voisin sur le tournage et voyant les armures étalées au sol prêtes pour l'emploi les croyaient en vente et voulaient les acheter et le petit sourire de l'accessoiriste racontant cela vaut un long discours !!